Devant les changements rapides observés au sein de la population, la flambée des coûts des soins de santé et les nouvelles attentes des citoyens, le Canada se trouve actuellement à un tournant décisif de l’évolution de son système de santé. L’Institut canadien d’information sur la santé prévoit que les dépenses de santé dépasseront 344 milliards de dollars par an, soit 12,1 pour cent du PIB. Pourtant, les indicateurs de santé et l’efficacité de la prestation des soins de santé au pays ne reflètent pas cet investissement considérable. Le système est mis à rude épreuve en raison du vieillissement de la population, de l’augmentation des maladies chroniques et de l’escalade des coûts des traitements médicaux spécialisés. Cette situation alarmante nécessite une réforme radicale et profonde, et pourrait tirer de précieux enseignements des expériences concluantes qui ont été appliquées aux systèmes de soins de santé publics dans le monde entier.
Une restructuration complète du système de santé canadien s’inspirant des grands acteurs mondiaux de l’innovation dans le domaine de la santé pourrait permettre de résoudre des problèmes systémiques, d’éliminer les inefficacités sur le plan administratif et d’atténuer le niveau d’insatisfaction rapporté par la population. Dans cet article, nous envisageons un système de santé canadien métamorphosé, qui répondrait aux besoins des générations futures tout en permettant des gains d’efficacité au niveau administratif, et qui favoriserait des avancées cliniques importantes et immédiates.
La prestation de soins de santé requiert l’usage d’approches axées sur le patient
Pour de nombreux citoyens canadiens, la réalité dans le secteur de la santé se traduit par de longs délais d’attente et des procédures laborieuses, un accès limité aux spécialistes et une infrastructure des soins de santé qui peine à supporter le poids de la population croissante. Répondre aux attentes des patients et satisfaire leurs besoins devient de plus en plus crucial, au fur et à mesure que la population canadienne avance en âge. Les citoyens ont contribué au système pendant des années, ils peuvent donc légitimement s’attendre à recevoir les soins qu’ils méritent lorsqu’ils en ont besoin.
Le système de santé canadien fait face à une myriade de défis. La fragmentation de la prestation de services et la diversité des modèles régionaux constituent des obstacles à la réalisation d’économies d’échelle et à l’amélioration de la santé de la population. L’organe administratif, qui constitue l’épine dorsale du système de soins de santé, piétine et stagne, alourdi par des technologies obsolètes et une imposante structure bureaucratique qui l’entravent plutôt qu’elles ne le servent. Plus grave encore, les besoins émotionnels et psychologiques des patients sont souvent négligés dans un système qui est poussé jusque dans d'ultimes limites pour répondre aux exigences opérationnelles. Ces enjeux mettent en évidence la nécessité d’une restructuration globale où la priorité serait donnée à des soins de santé axés sur le patient et à une administration efficace.
La question qui se pose donc aux législateurs et au secteur public est la suivante : comment le Canada peut-il améliorer la prestation des soins de santé, les rendre plus accessibles et les adapter de manière à répondre aux besoins de sa population diversifiée? Christine Morgan, infirmière diplômée et chargée de compte chez TELUS Santé, estime que la réponse réside dans une vision audacieuse qui intégrerait les meilleures pratiques du monde entier et les adaptant au contexte canadien. S’appuyant sur son expérience acquise dans les domaines de la santé, des affaires et du droit, Christine présente une vision nuancée de cette question essentielle, soulignant l’importance de maintenir un discours éclairé et d’offrir des solutions innovantes.
« Le parcours menant vers un système de santé repensé et réorienté exige que l’on fasse preuve de collaboration, d’innovation et d’engagement pour maintenir les principes d’universalité, d’accessibilité et de qualité qui définissent les soins de santé au Canada », affirme Christine. « Les exemples que nous donnent d’autres pays qui se sont dotés de systèmes de soins de santé universels, comme l’Estonie, le Danemark ou le Royaume-Uni, constituent une feuille de route qui nous permettra d’atteindre ces objectifs ».
Par exemple, le service national de santé du Royaume-Uni (le UK National Health Service), qui est principalement orienté sur l’accessibilité et les droits des patients, constitue un modèle pour la création d’un système de soins de santé qui respecte les souhaits de ses citoyens, en particulier ceux des personnes âgées qui aspirent à vieillir selon leurs propres conditions. De même, le Danemark et les Pays-Bas ont optimisé leurs soins de santé grâce à des systèmes informatiques intégrés et à de solides réseaux de soins de première ligne. Ils utilisent des dossiers numériques et des solutions de santé en ligne pour réduire les temps d’attente et le fardeau administratif, afin que les médecins passent plus de temps avec leurs patients et moins de temps à s’occuper de la paperasse.
L’adoption d’une approche davantage axée sur le patient nécessitera la formation des prestataires de soins de santé afin qu’ils acquièrent de nouvelles compétences cliniques, ainsi que des aptitudes pour la compassion et la communication. En outre, des installations conçues pour assurer le confort des patients et des services qui respectent la diversité culturelle et linguistique de la population canadienne amélioreraient considérablement le niveau de satisfaction des patients.
Un système de santé innovant, inspiré des meilleures pratiques internationales, permettrait au Canada de maintenir son titre de chef de file mondial en matière de soins de santé, en offrant à l’ensemble des citoyens des soins durables, empreints de compassion. Toutefois, Christine précise qu’aucun système n’est parfait et qu’il serait irréaliste d’adopter un modèle de soins de santé tel quel, sans y apporter les modifications qui conviennent.
« Bien que nous puissions nous inspirer des meilleures solutions mises en œuvre, il nous faut les adapter et les mettre à l’épreuve pour en évaluer la faisabilité dans le contexte particulier du Canada », explique-t-elle.
Les technologies et le traitement des mégadonnées promettent des gains d’efficacité sur le plan administratif
Le pouvoir de transformation des technologies et des mégadonnées dans le secteur des soins de santé n’est pas un concept nouveau. L’Estonie est une pionnière en matière de solutions de soins de santé numériques. Elle est un exemple de la manière dont l’intégration des données dans l’ensemble d’un système de soins de santé peut révolutionner les soins offerts aux patients. Grâce à l’avènement des dossiers médicaux électroniques, des ordonnances électroniques et des services ambulanciers électroniques, l’Estonie a instauré sur son territoire un système de soins de santé plus efficace et mieux adapté aux besoins des patients. De même, l’approche adoptée par le Danemark en matière d’intégration de la technologie, c’est-à-dire l’intégration de solutions numériques qui favorisent les interactions humaines plutôt qu’elles ne les remplacent, apporte de précieux enseignements sur la façon dont on peut utiliser les outils technologiques pour démontrer de la sollicitude et prendre soin des patients.
L’adoption d’un dossier de santé électronique unifié constituerait une étape importante pour le Canada. Un tel système permettrait d’éliminer la répétition inutile des tests et de certaines procédures, de réduire les coûts et d’accroître la rapidité du service. En outre, la télémédecine pourrait s’étendre au-delà des zones rurales pour devenir une pratique courante dans tout le pays, rendant ainsi les soins de santé plus accessibles à tous, en particulier dans les centres urbains où il peut être difficile de s’y retrouver dans l’ensemble des établissements de santé.
« En adoptant des technologies centrées sur le patient, le Canada peut favoriser l’implantation d’un environnement de soins de santé qui concilie l’innovation et la compassion, en veillant à ce que les progrès technologiques améliorent la qualité des soins plutôt que de leur nuire », explique Christine. « Nous avons la possibilité d’exploiter les avancées technologiques réalisées jusqu’à présent et d’avoir recours à l’analyse de données pour faciliter la prise de décision et garantir de meilleurs résultats pour les patients. »
Qui plus est, la technologie peut améliorer grandement l’efficacité sur le plan administratif, en allégeant les processus et en les rendant plus conviviaux. Par exemple, un système centralisé de prise de rendez-vous et la simplification du processus de gestion des ordonnances entre les médecins de première ligne et les spécialistes permettraient d’accélérer le traitement des patients et d’obtenir de meilleurs résultats en matière de santé.
Utiliser l’intelligence artificielle pour innover dans les soins de santé
L’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) dans le travail des cliniciens et des administrateurs de soins de santé est un secteur émergent qui présente un fort potentiel d’innovation dans le domaine des soins de santé. L’IA peut transformer les soins de santé et améliorer considérablement les soins offerts aux patients, qu’il s’agisse de la précision du diagnostic ou de l’efficacité administrative. Les systèmes de soins de santé du monde entier s’associent aux gouvernements, aux chaires de recherche et au secteur privé pour mettre au point de nouveaux traitements et de nouvelles technologies.
Récemment, des chercheurs du MIT et du Mass General Hospital* de Boston ont collaboré au développement de modèles d’IA destinés à évaluer le risque de cancer du sein. Cette recherche met en évidence le potentiel de l’IA pour améliorer considérablement les soins aux patients. Au Canada, BIOS Health a conclu un partenariat de recherche* avec l’entreprise montréalaise Mila, l’Université McGill et l’Université de Montréal afin de développer un système de neuromodulation en boucle fermée utilisant l’IA. Ce système reconnaît les signaux neuronaux et ajuste la stimulation en temps réel pour améliorer l’efficacité du traitement, ce qui pourrait aider les patients souffrant d’affections cardiaques chroniques.
Parmi les autres avantages de l’adoption de l’IA figurent l’optimisation des opérations, qui permettrait de créer des gains en matière d’efficacité, de réaliser des économies au niveau des dépenses en santé et de fournir des soins de meilleure qualité grâce à une gestion améliorée des capacités. Selon une analyse de McKinsey*, le déploiement à grande échelle d’applications d’IA au Canada pourrait réduire les dépenses en santé de 4,5 à 8 pour cent par an, et ce, sans compromettre l’accessibilité des soins, les résultats obtenus et l’expérience vécue par les patients.
Réimaginer le rôle des technologies alimentées par l’IA dans les soins de santé pourrait faire du système de santé canadien un système plus proactif et plus centré sur le patient. L’adoption d’un modèle de soins préventifs peut participer à la réduction des coûts des soins de santé à long terme, en favorisant et maintenant la bonne santé des personnes plutôt qu’en leur offrant uniquement des traitements lorsqu’elles sont malades.
« En tirant parti de l’analyse des données, des technologies de pointe et de l’intelligence artificielle comme des outils facilitateurs, nous pourrions créer un modèle de prestation de soins de santé plus efficace, intégré et axé sur les données, et qui donnerait la priorité à la compassion et à l’humanité des soins, dans le respect des trois piliers de la Loi canadienne sur la santé, soit l’universalité, la transférabilité et l’accessibilité », ajoute Christine.
La restructuration du système de santé canadien est une tâche ardue, mais pas impossible. En intégrant au système des technologies de pointe, en simplifiant les processus administratifs et en donnant la priorité aux soins axés sur le patient, le Canada est en mesure de construire un système de santé efficace et humain. L’objectif de ce virage devrait être d’opérer une transformation majeure qui permette de répondre efficacement aux besoins actuels et aux défis de demain, de manière à garantir un avenir plus sain à tous les Canadiens.
*Disponible en anglais seulement.