Remarque: Cet article a été initialement publié dans Healthy Debate le 23 novembre 2020 par le Dr Dominik Nowak et a été traduit de l’anglais vers le français.
Je n’oublierai jamais Emily, une patiente de 23 ans de ma médecine familiale. Nous abordions des enjeux comme la vaccination, le dépistage du cancer et la contraception. Jusqu’à ce que survienne un matin d’été tragique. Un véhicule a heurté le vélo d’Emily. Elle a survécu à l’accident, mais elle a dû subir une chirurgie pour une fracture de la jambe.
Quelques semaines plus tard, nous travaillions sur son rétablissement. Il était douloureux pour Emily de bouger, alors nous nous sommes rencontrés virtuellement. « Je me sens fatiguée, mais je suis certaine que c’est à cause des comprimés antidouleurs », m’a-t-elle dit un jour, alors qu’elle se sentait épuisée et un peu à court de souffle quelques minutes après le début de ses exercices.
En raison de la consultation virtuelle, il m’était impossible de vérifier tous les signes vitaux d’Emily, ni son cœur et ses poumons. Toutefois, je pouvais la voir à l’écran et je me souvenais de quoi elle avait l’air lorsqu’elle était en bonne santé. Elle m’a montré son rythme cardiaque élevé sur sa montre intelligente. Elle avait l’air anxieuse et elle avait le visage rouge. Mon intuition, que j’ai développée au cours des années de consultations avec Emily, me disait que quelque chose n’allait pas. Je lui ai dit que j’étais inquiet et qu’elle devait se rendre à l’hôpital.
Emily était réticente, mais elle me faisait confiance. À l’hôpital, le médecin a diagnostiqué une embolie pulmonaire, soit la présence d’un caillot dans les poumons qui aurait pu mettre fin à sa vie si elle n’avait pas été traitée à temps. Les soins de santé virtuels ont permis à Emily d’avoir une consultation, mais c’est la continuité des soins qui lui a sauvé la vie.
Les soins de santé virtuels promettent l’accès à toutes les personnes ayant besoin de soins, au moment où elles en ont besoin. Pour Emily, c’est la combinaison de l’accès et de la continuité qui a changé les choses. La continuité des soins consiste à voir la même personne ou la même équipe pour la prestation des soins au fil du temps. La continuité des soins contribue à notre santé, et elle nous procure plus que du confort et de la confiance – elle nous permet de recevoir des soins de qualité et d’accroître notre espérance de vie. À une époque où de nombreuses personnes recherchent des soins virtuels, la continuité est plus importante que jamais.
Bon nombre de personnes comme Emily bénéficient de la continuité des soins, mais plus d’un million d’Ontariens n’ont pas de médecin de famille ou de professionnel en soins primaires. Partout au Canada, les offres virtuelles continuent d’évoluer rapidement pour répondre temporairement à ce besoin. Comme les cliniques sans rendez-vous régulières, ces services forment un filet de sécurité important et aident de nombreuses personnes à avoir accès à des soins. Toutefois, les cliniques sans rendez-vous régulières et les cliniques sans rendez-vous virtuelles n’offrent souvent aucune forme de continuité avec le reste du système de santé. Pour Emily, cela se serait traduit par une consultation avec un étranger qui n’aurait eu aucun renseignement sur son histoire, sa santé ou ses valeurs, ni aucun moyen de transmettre les détails de cette consultation à son médecin de famille.
Les cliniques sans rendez-vous virtuelles ont leur place, mais elles doivent être intégrées à un système plus vaste qui favorise la continuité des soins.
Contrairement aux soins de santé en personne, les soins de santé virtuels ont l’avantage d’être accessibles, peu importe le lieu, c’est-à-dire qu’Emily et moi avons pu nous rencontrer malgré sa jambe cassée. Dans ma pratique, l’option des soins de santé virtuels offre à la fois l’accès et la continuité aux patients qui ne peuvent se présenter en personne ou pendant les heures de bureau – les parents qui travaillent, les jeunes familles, les personnes âgées dont l’aidant doit prendre part à la visite. Les soins de santé virtuels permettent à Emily et à d’autres patients comme elle de recevoir les soins appropriés, pour le bon problème, au bon moment, par la bonne personne. En éliminant les obstacles liés au transport, les soins de santé virtuels peuvent favoriser la continuité grâce à un professionnel de la santé déterminé.
Bien que la continuité des soins auprès d’un seul médecin présente des avantages, ce n’est pas toujours une option réaliste. Peu importe l’engagement dont il fait preuve, il est impossible qu’un médecin de famille soit disponible en tout temps et dans toutes circonstances. Il est plus pratique de pouvoir compter sur la continuité d’une équipe déterminée. Pour une équipe, les soins de santé virtuels peuvent assurer la connexion dont les professionnels de la santé ont besoin pour collaborer judicieusement.
Imaginez si nous disposions tous d’une équipe d’experts pour gérer et coordonner les soins, des experts qui ne partageraient pas toujours les mêmes locaux, mais qui pourraient néanmoins travailler ensemble grâce à la technologie. Cela me permettrait de communiquer avec le chirurgien, le physiothérapeute et le pharmacien d’Emily, de suivre ses progrès, d’ajuster le dosage de ses médicaments contre la douleur et de travailler avec eux pour assurer sa santé. Grâce à la technologie, nous pourrions collaborer comme si nous étions tous dans le même bureau. En éliminant l’obstacle de l’emplacement, les soins de santé virtuels peuvent favoriser la continuité des soins grâce à une équipe interdisciplinaire déterminée.
Parfois, les patients ont besoin de soins urgents auprès de médecins qui ne font pas partie de leur équipe désignée. Dans ces circonstances, il ne devrait pas incomber aux patients ou aux soignants de répéter les histoires traumatisantes ou de compiler des chapitres de renseignements à la suite de la consultation. Si Emily devait consulter un médecin d’un autre bureau, nous devrions mettre en place un système qui permettrait au nouveau médecin de consulter le dossier médical d’Emily, ses derniers résultats de laboratoire et les objectifs de soins généraux. Après une consultation, le médecin devrait pouvoir transmettre facilement les détails de cette consultation à l’équipe de soins désignée du patient. Les soins de santé virtuels doivent, au minimum, assurer la continuité des données.
Les soins discontinus ne devraient pas être la seule option pour les personnes qui n’ont aucun médecin de famille ou professionnel en soins primaires. Les personnes privées d’une forme quelconque de continuité reçoivent souvent des soins fragmentés de la part de multiples professionnels et n’ont aucune orientation longitudinale en matière de santé.
Dans la série Code Red du Hamilton Spectator, les enquêteurs ont constaté que les quartiers où très peu de résidents avaient accès à un médecin de famille étaient aussi les quartiers qui comptaient le plus visites à l’urgence pour des crises liées à la santé mentale, où les taux de pauvreté étaient les plus élevés et où les résultats en matière de santé maternelle étaient les pires. La courbe d’adoption des soins de santé virtuels risque de creuser ce fossé.
De plus, de nombreux Canadiens seront confrontés aux déterminants numériques sur la santé, à l’absence d’accès à Internet, aux compétences technologiques, à l’accès à un endroit sûr pour avoir des conversations personnelles et à un aidant pour les aider lors de la consultation, sans oublier tous les autres obstacles structurels.
Pour bon nombre de personnes, il y a une différence dans la qualité des soins qu’elles reçoivent dans un salon partagé où elles sont privées de la confidentialité et de la sécurité que leur offre le bureau de leur médecin. Par exemple, Emily habite avec ses parents et elle est plus à l’aise de discuter de santé mentale ou de questions délicates en personne ou au parc. L’accessibilité des soins de santé virtuels ne remplace pas le besoin de bénéficier de soins primaires virtuels et en personne sur une base continue. Malgré l’adoption rapide des soins de santé virtuels, nous ne devons priver aucun Canadien de recevoir des soins de santé primaires de grande qualité.
La preuve est claire : une politique de soins primaires saine permet de bâtir des collectivités en santé. Pour les personnes comme Emily, les visites virtuelles avec le bureau de son médecin de famille favorisent l’accès et la continuité. Tous les Canadiens méritent de recevoir des soins de santé judicieux qui sont possibles grâce à la continuité sous toutes ses formes. Particulièrement pour les millions de Canadiens qui n’ont aucun médecin de famille, nos ministères de la Santé provinciaux doivent mettre en place un système qui permet à chaque Canadien d’avoir accès à des soins de santé virtuels et en personne fondés sur un centre de médecine de famille continu.
Grâce à la technologie, il est plus que temps que nous définissions la continuité comme une valeur fondamentale des soins de santé pour tous les Canadiens, dans tous les contextes, auprès de tous les cliniciens.
Le Dr. Dominik Alex Nowak, MD MHSc CCFP, est médecin de famille, médecin chef du TELUS MAC, stratège des systèmes de santé et membre du corps professoral de l’Université de Toronto.
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